En 1804, le Code civil ne mentionne la bonne foi qu’à propos de l’exécution de certains contrats, comme le contrat de vente ou le mandat. Pourtant, dès la seconde moitié du XXe siècle, la jurisprudence commence à imposer ce principe à toutes les étapes de la vie contractuelle. L’ordonnance du 10 février 2016 inscrit alors, pour la première fois, une exigence générale de bonne foi applicable à tout contrat, sans exception.
Ce basculement consacre la loyauté comme norme centrale, rendant la mauvaise foi inopposable même par accord entre parties. La portée de cette exigence ne cesse depuis de s’étendre, influençant la pratique et l’interprétation des contrats civils et commerciaux.
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Comprendre le principe de bonne foi dans le droit des contrats
La bonne foi irrigue aujourd’hui la matière contractuelle, au point de s’ériger en véritable fil conducteur du droit des contrats. L’article 1104 du Code civil, fruit de la réforme de 2016, le proclame sans détour : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
Longtemps cantonnée à la seule exécution, la bonne foi contractuelle s’impose dorénavant dès la négociation et la formation du contrat. Ce déplacement du curseur révèle une exigence grandissante de loyauté, de clarté, de respect mutuel. Les parties sont désormais tenues d’agir avec loyauté : pas de manœuvre dilatoire, pas de rétention d’informations, pas de jeu trouble.
Voici ce que ce principe implique concrètement :
- Respect du principe de bonne foi : la loyauté gouverne chaque échange, dès les premiers pourparlers.
- Ordre public : nul ne peut se soustraire à l’exigence de bonne foi, même par accord exprès.
- Liberté contractuelle encadrée : la liberté de contracter, loin d’être absolue, doit se conjuguer avec la loyauté.
La bonne foi acquiert ainsi la force d’une obligation d’ordre public, qui dépasse la simple volonté des parties. Elle façonne l’exercice de la liberté contractuelle et impose une vigilance continue, à chaque étape du processus. Les juges, garants de l’application du principe, apprécient les comportements, sanctionnent les dérapages, protègent l’équilibre, veillent à ce que la bonne foi irrigue toute la relation contractuelle, depuis l’amorce jusqu’à la réalisation finale.
Pourquoi l’article 1104 du Code civil a-t-il marqué une évolution majeure ?
L’adoption de l’article 1104 du Code civil en 2016, dans le cadre de la réforme du droit des contrats, a fait basculer la tradition juridique française. Jusqu’alors, l’ancien article 1134 ne visait la bonne foi qu’au stade de l’exécution. La réforme du droit des obligations a élargi la portée du principe à la négociation, à la formation et à l’exécution du contrat. La loyauté devient ainsi le fil conducteur de toutes les étapes contractuelles.
Ce changement profond s’explique par la volonté de renforcer la sécurité juridique et la prévisibilité des relations contractuelles. Désormais, la bonne foi relève de l’ordre public : aucune stipulation contractuelle ne peut l’écarter. Le texte ne laisse place à aucune ambiguïté. Il s’impose comme point de repère pour les praticiens, les magistrats, les universitaires.
L’application de cette nouvelle règle manifeste une adaptation aux réalités économiques et sociales d’aujourd’hui, où les échanges sont plus complexes, les relations plus imbriquées. L’analyse historique de l’évolution du texte souligne la nette rupture avec la philosophie individualiste du Code civil originel. Le contrat n’est plus un simple affrontement de volontés : il suppose une coopération minimale, une loyauté que la loi impose à tous.
Le droit français affirme ainsi un nouvel équilibre entre liberté contractuelle et protection de la partie la plus exposée. L’article 1104 incarne ce tournant, dessine une nouvelle époque juridique, où équité et confiance imprègnent tout le processus contractuel.
Loyauté et confiance : des piliers essentiels dans les relations contractuelles
La loyauté ne s’arrête pas à l’exécution du contrat. Elle pénètre chaque moment de la relation contractuelle, dès la première approche. À la racine de cette obligation, une exigence claire : agir sans tromper, sans réticence, depuis la négociation. La confiance mutuelle devient alors la clef de voûte sur laquelle repose l’ensemble de la relation, du premier échange à la fin de l’exécution.
Les débats parlementaires à l’origine de la réforme de 2016 l’ont souligné : la bonne foi dépasse l’honnêteté subjective. Elle impose une transparence lors de la transmission des informations qui déterminent le consentement de l’autre partie. Omettre une donnée déterminante, masquer un risque : le contrat vacille. La jurisprudence, notamment celle de la cour de cassation, sanctionne sans hésiter la moindre défaillance dans l’obligation d’information.
Respecter la relation contractuelle ne suppose pas seulement de suivre la lettre du contrat. Cela exige une attention constante, une adaptation aux aléas, une ouverture face aux difficultés. À chaque étape, les juges cherchent à comprendre les intentions réelles, à démêler le vrai du faux, à déceler la mauvaise foi derrière les apparences.
Voici ce que cela implique dans la vie courante des contrats :
- Transparence sur les risques connus ou prévisibles
- Soin apporté à l’équilibre contractuel
- Coopération active face aux difficultés d’exécution
La sécurité juridique n’est pas donnée d’avance : elle se construit, jour après jour, dans la négociation, l’échange, la résolution concertée des différends. L’obligation de loyauté n’a rien d’une abstraction : elle structure la confiance, ce socle discret mais décisif du droit des contrats.
Exemples concrets et situations où la bonne foi fait la différence
Dans le quotidien des contrats, le principe de bonne foi façonne des situations où le droit prend une dimension humaine. Aucun texte ne peut anticiper chaque imprévu, chaque tension, chaque revirement entre partenaires économiques. Pourtant, l’article 1104 du Code civil joue un rôle de repère, rappelant que les conventions doivent toujours être exécutées loyalement.
Un exemple : dans le cadre d’un contrat de cautionnement, la proportionnalité s’apprécie au regard de la bonne foi au moment de la conclusion. Si une banque néglige d’informer la caution des véritables risques, elle commet une faute ; le juge ne laisse pas passer, et sanctionne ce manquement, au nom du respect de la loyauté.
Le traitement du surendettement illustre également l’enjeu : la bonne foi du débiteur devient un critère lors de l’examen du dossier. Cacher un bien, travestir sa situation financière : le pacte de confiance est rompu, et la protection du droit s’éloigne.
En droit des biens ou pour la publicité des sûretés, la jurisprudence insiste : chaque partie doit agir à la hauteur de l’esprit du contrat. L’exécution mécanique ne suffit plus : la loyauté guide le processus, de la négociation à la résolution des litiges. Les juges, en s’appuyant sur l’article 1221 du Code civil, écartent les abus, veillent à ce que les conventions soient exécutées avec la bonne foi attendue.
Le droit des contrats, à travers la bonne foi, impose une rigueur et une vigilance qui transforment la pratique. Quand la loyauté devient la règle du jeu, le contrat cesse d’être un simple papier : il devient l’engagement d’une confiance partagée, solide comme la parole donnée.